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Appel à contributions numéro spécial « covid-19 » de la RFS

Coordination scientifique : Nathalie Bajos (Inserm-EHESS), Michel Dubois (CNRS-Sorbonne Université), Patrick Peretti-Watel (Inserm)

Quel est l’impact de la crise Covid-19 sur la vie sociale ? Expériences inédites en France et dans de nombreux pays, les confinements comme la généralisation des mesures de distanciation ont permis aux populations concernées de prendre conscience de l’importance du « tissu » relationnel inhérent à toute vie en société ; une dimension traditionnellement bien étudiée par les sciences sociales. Les sociologues eux-mêmes se sont rapidement saisis du principe général de la crise comme « révélateur » pour souligner la fragilité du système de santé (Gaudillière, Isambert et Juven, 2021), l’ampleur des inégalités sociales (Bajos et al., 2021), le déficit de savoir-faire des autorités publiques (Bergeron, Borraz, Castel et Dedieu, 2020) ou encore certains dysfonctionnements de la recherche biomédicale (Gingras et Khelfaoui, 2021). La liste est loin d’être complète (pour un inventaire plus exhaustif, voir Lazar, Plantin et Ragot, 2020 ; Gaille et Terral, 2021), mais à chaque fois il s’agit de rendre compte de faits préexistants à la crise mais qu’elle contribue très largement à exacerber.

La pandémie est aussi un évènement « déclencheur » ou « accélérateur » de transformations sociales durables. Nul besoin d’adopter les artifices d’une rhétorique du « monde d’après » pour s’intéresser à ses effets à moyen ou long terme, ou à ceux des différentes mesures mises en place par les pouvoirs publics pour réduire sa propagation. Les chercheurs en sciences sociales ont pu notamment s’appuyer sur la mobilisation des organismes de recherche et des agences de financement pour investir de nouveaux terrains, permettant notamment de rendre compte de l’impact des confinements et, plus largement, de celui de la pandémie sur les conditions de vie, les parcours de soins et la prise en charge des maladies chroniques, le vécu des familles avec des enfants en bas âge, les attitudes du grand public à l’égard des vaccins, ou encore le renouvellement du travail scientifique et des formes d’expertise. Là encore, la liste est loin d’être complète, et si l’on prend un peu de recul, il parait aujourd’hui évident que le paysage des sciences sociales lui-même, en France comme à l’étranger, a été pour partie reconfiguré par la crise de la Covid-19.

Cet appel à contributions vise à explorer les enjeux empiriques et théoriques des bouleversements et/ou changements sociaux durables produits, directement ou indirectement, par la pandémie de Covid-19. Sans être limitants, quatre axes de questionnement nous semblent mériter une attention particulière :

  • Inégalités sociales. Confrontées à la situation d’urgence sanitaire et s’appuyant sur les connaissances médicales et épidémiologiques, les autorités publiques ont conçu un ensemble de mesures sans tenir compte des inégalités sociales qui traversent la société française, dont on pouvait pourtant penser qu’elles seraient aggravées dans ce contexte particulier. Des enquêtes, en France comme dans de nombreux pays, ont en effet très tôt documenté de fortes inégalités de santé, de l’exposition au virus jusqu’au risque d’en décéder (Bambra et al., 2020). Dans tous les cas, les groupes situés en bas de l’échelle sociale, et notamment les personnes aux revenus les plus faibles et les immigrés d’origine extra-européenne, sont apparus les plus touchés par la pandémie. Ce constat traduit avant tout l’importance des conditions de vie pour rendre compte de la diffusion du virus et des effets des politiques publiques. D’autres travaux ont montré que le ralentissement, voire l’arrêt, de l’activité dans certains secteurs de l’économie avait eu des conséquences sur l’emploi et les ressources financières d’autant plus marquées que les personnes se trouvaient dans des situations professionnelles instables et/ou de précarité économique et sociale (Albouy et Legleye, 2020 ; Peretti-Watel et al., 2022), et que la crise avait modifié le rapport à la santé et affecté plus particulièrement les conditions d’accès au système de soins (Connor et al., 2020). D’autres, enfin, se sont attachés à étudier les recompositions des rôles familiaux que les situations de confinement avaient pu favoriser, notamment en matière de prise en charge des tâches domestiques et de répartition de la « charge mentale », avec des conséquences sur le bien-être psychique (Pailhé et al., 2020). Sont attendues pour ce premier axe des contributions qui interrogent les processus qui construisent les conséquences à long terme de cette crise sanitaire sur les inégalités sociales (au sens le plus large, incluant notamment les inégalités d’âge, de classe, de genre, d’origine voire de « race »), qu’il s’agisse des reconfigurations familiales et des conditions matérielles de vie, du rapport au travail et à ses conditions d’exercice ou encore du rapport au système de soins.      
  • Travail et formation. Un deuxième axe, non exclusif du premier, est centré sur les conséquences au long cours de l’épidémie et de sa gestion sur les activités d’emploi et de formation (Eurofound, 2020). Le recours massif au télétravail et la mise en place de la « continuité pédagogique » pendant le premier confinement (de mars à mai 2020) sont à ce titre emblématiques (Lambert et Cayouette-Remblière, 2021), car le travail et la formation « en distanciel » ont largement persisté au-delà de cette première période, notamment dans l’enseignement, mettant en évidence une fracture numérique déjà existante. Mais cet axe couvre également les transformations durables des conditions de travail et de formation « en présentiel », avec la généralisation des gestes barrières, la gestion des « évictions », ou encore les mesures de distanciation physique et le port du masque, dans les entreprises et dans les établissements scolaires (Aucejo et al., 2020 ; Kniffin et al., 2020). Les contributions attendues pourront également s’intéresser, du point de vue des employeurs, à l’accélération de tendances comme la précarisation de l’emploi (l’« uberisation », l’auto-entrepreneuriat), aux entreprises qui repensent la manière de gérer les espaces de bureau comme les dispositifs de management et de contrôle. Du point de vue des salariés, l’accent pourra être mis sur la réévaluation du rapport au travail (conversion, changement de mode d’exercice de la profession, mobilité) ou plus largement les reconfigurations de certains secteurs professionnels : la santé bien sûr, mais également le spectacle vivant, la restauration, etc.    
  • Information, expertise et science. Un troisième axe invite les contributeurs à rendre compte de la manière dont la crise a pu transformer les frontières entre information et désinformation, savoirs profanes et savoirs experts, et plus globalement science et non-science. La crise a été parfois décrite comme une pandémie de désinformation, notamment sur les réseaux sociaux (Giry, 2020). L’importance des incertitudes créées par cette pandémie a occasionné de nombreuses controverses, dans lesquelles les scientifiques et les experts se sont vus opposés à des contributeurs parfois anonymes, transformant plus ou moins profondément les règles de la dispute savante (Dubois et al., 2021). Les autorités publiques ont mis en place différents comités d’experts, tout en renouvelant régulièrement leurs modalités d’interaction avec ces comités (Benamouzig, 2020). Confrontée à l’urgence de produire des résultats rapidement, la communauté scientifique a été conduite à s’interroger sur certaines règles de fonctionnement, notamment dans l’évaluation des résultats de recherche et des publications (Horbach, 2020). La mise en évidence de la fragilité, voire du caractère frauduleux de certaines de ces publications scientifiques — sur lesquelles les autorités publiques se sont parfois appuyées — a permis de rendre visibles de nouveaux acteurs de l’évaluation du travail scientifique.  Enfin, dans le prolongement du constat des effets supposés de la pandémie sur les sciences sociales, seront également attendues les contributions qui étudient, à partir d’un matériau empirique original, la nature comme les enjeux de cette reconfiguration globale du paysage scientifique.
  • Politisation et recomposition politique. Dans un autre registre, la crise sanitaire actuelle a aussi mis en évidence une politisation croissante des enjeux de santé, comme l’a par exemple illustré la controverse sur le traitement par hydroxychloroquine, ou encore les réticences vaccinales de la population (Stroebe et al., 2021 ; Ward et al., 2021). En effet, les individus ont semblé de plus en plus appréhender ces enjeux au prisme de leurs propres préférences idéologiques ou partisanes, avec une polarisation qui ne s’actualiserait plus le long d’une opposition « droite-gauche », mais plutôt de part et d’autre d’une fracture entre partis de gouvernement et partis de rupture (« anti-système »), dans le prolongement d’une recomposition du paysage partisan entamée avant la crise. Cette politisation peut aussi renvoyer à la propension de chacun à opérer une lecture partisane du monde qui l’entoure et des choix qui s’offrent à lui (Gauchat, 2012 ; Gostin, 2018 ; Blank et Shaw, 2020) : ainsi le refus du vaccin semble avoir pris une dimension politique, traduisant une défiance vis-à-vis du gouvernement, défiance contestataire pour certains, comme l’expression d’un mécontentement relatif à la gestion de la crise, et/ou confirmation d’options idéologiques ancrées dans des conflits sociaux antérieurs qui n’ont pas manqué au cours des années précédant la crise. Bien sûr, cette politisation a aussi été nourrie par les mesures de restriction des libertés individuelles (confinement, couvre-feu, « pass sanitaire », « pass vaccinal », etc.).

Les contributions pourront s’appuyer sur des matériaux qualitatifs ou quantitatifs et éventuellement proposer une perspective comparative avec d’autres crises sanitaires ou avec des situations observées dans d’autres pays. Elles pourront aussi prendre la forme de notes critiques consacrées à quelques ouvrages récents et importants étroitement liés à la thématique générale du numéro.

Les propositions de contributions (min. 500 mots-max.1 500 mots), en français ou en anglais, devront décrire de manière synthétique les quatre éléments suivants :

1) Sujet abordé et état de la littérature pertinente pour le sujet traité

2) Matériau et méthodes

3) Résultats attendus

4) Courte bibliographie (max. 5 références)

Toute proposition ne respectant pas ce format sera automatiquement rejetée.


Les propositions doivent être adressées avant le 9 mai 2022

au secrétariat de rédaction ainsi qu’aux trois coordinateurs :

rfs.covid19@services.cnrs.fr

Elles feront l’objet d’un examen conjoint par les signataires de cet appel. La notification d’acceptation sera rendue aux auteurs au plus tard le 30 mai 2022.

Les autrices et auteurs dont la proposition aura été retenue devront remettre leur texte, dont la longueur ne dépassera pas 75 000 signes (espaces, figures et tableaux compris), au plus tard le 15 décembre 2022. Chaque article sera évalué, de manière anonyme, par le comité de lecture de la Revue.

Références bibliographiques

Albouy V., Legleye S., 2020, Conditions de vie pendant le confinement : des écarts selon le niveau de vie et la catégorie socioprofessionnelle, Insee Focus, n° 197, juin.

Aucejo E. M., French J., Ugalde Araya M. P., Zafar B., 2020, « The Impact of COVID-19 on Student Experiences and Expectations: Evidence from a Survey », Journal of Public Economics, 191, 104271: https://doi.org/10.1016/j.jpubeco.2020.104271.

Bajos N., Jusot F., Pailhé A., Spire A., Martin C., Meyer L., Lydié N., Franck J. E., Zins M., Carrat F., SAPRIS study group, 2021, « When Lockdown Policies Amplify Social Inequalities in COVID-19 Infections » BMC Public Health21, 1, p. 705.

Bambra C., Riordan R., Ford J. et al., 2020, « The COVID-19 Pandemic and Health Inequalities », Journal of Epidemiology Community Health, 74, p. 964-968.

Benamouzig D., 2020, « Un sociologue au conseil scientifique » dans in M. Lazar, G. Plantin, X. Ragot (éds.), Le monde d’aujourd’hui. Les sciences sociales au temps de la Covid, Paris, Presses de Sciences Po.

Bergeron H., Borraz O., Castel P., Dedieu F., 2020, Covid19 : une crise organisationnelle, Paris, Presses de Sciences Po.

Blank J. M., Shaw D., 2015, « Does Partisanship Shape Attitudes toward Science and Public Policy? The Case for Ideology and Religion » The Annals of the American Academy of Political and Social Science658, 1, p. 18‑35.

Connor J., Madhavan S., Mokashi M., Amanuel H., Johnson N. R., Pace L. E., Bartz D., 2020, « Health Risks and Outcomes that Disproportionately Affect Women During the Covid-19 Pandemic: A Review », Social Science and Medicine, 266, Art. 113364: https://doi.org/10.1016/j.socscimed.2020.113364.

Dubois M., Frenod-Dunand A., Gargiulo F., Guaspare-Cartron C., 2021, « Le contrôle par les pairs au temps du coronavirus » dans P.-M. Chauvin, A. Clement (dir.), Sorbonnavirus, Regards sur la crise du coronavirus, Paris, Sorbonne Université Presses.

Eurofound, 2020, Living, Working and COVID-19, , Luxembourg, Publications Office of the European Union, COVID-19 series.

Gaille M., Terral P. (éds.), 2021, Pandémie. Un fait social total, Paris, CNRS Éditions.

Gauchat G., 2012, « Politicization of Science in the Public Sphere A Study of Public Trust in the United States, 1974 to 2010 », American Sociological Review77, 2, p. 167‑187.

Gaudillière J.-P., Izambert C., Juven P. A., 2021, Pandémopolitique. Réinventer la santé en commun, Paris, La Découverte.

Gingras Y., Khelfaoui M., 2021, « L’effet SIGAPS : la recherche médicale française sous l’emprise de l’évaluation comptable », Zilsel, 1-8, p. 144-174.

Giry J., 2020, « Les fake news comme concept de sciences sociales. Essai de cadrage à partir de notions connexes : rumeurs, théories du complot, propagande et désinformation », Questions de communication, 38. p. 371-394.

Gostin L. O., 2018, « Language, Science, and Politics: The Politicization of Public Health », JAMA319, 6, p. 541-542: doi: 10.1001/jama.2017.21763.

Horbach S., « Pandemic Publishing: Medical Journals Strongly Speed up their Publication Process for Covid19 », Quantitative Science Studies, 1, 3, p. 1056-1067.

Kniffin K. M., Narayanan J., Anseel F. et al., 2021, « COVID-19 and the Workplace: Implications, Issues, and Insights for Future Research and Action », American Psychologist76, 1, p. 63-77: doi: 10.1037/amp0000716.

Lambert A., Cayouette-Remblière J. (éds.), 2021, L’explosion des inégalités. Classes, genre et générations face à la crise sanitaire, La Tour d’Aigues, Éditions de l’Aube/Ined.

Lazar M., Plantin G., Ragot X. (éds.), 2020, Le monde d’aujourd’hui. Les sciences sociales au temps de la Covid, Paris, Presses de Sciences Po.

Pailhé A., Panico L., Solaz A., 2021, « Children’s Well-being and Intra-household Family Relationships during the First COVID-19 Lockdown in France », Journal of Family Research: https://doi.org/10.20377/jfr-718.

Peretti-Watel P. (dir.), 2022, Huis-clos avec un virus : comment les Français ont vécu le premier confinement ? Villeneuve-d’Ascq, Presses universitaires du Septentrion.

Stroebe W., vanDellen M. R., Abakoumkin G. et al., 2021, « Politicization of COVID-19 Health-protective Behaviors in the United States: Longitudinal and Cross-national Evidence », PLoS One1610:e0256740. https://doi.org/10.1371/journal.pone.0256740.

Erratum in: PLoS One, 2022, 171:e0263100. 17(1): e0263100: https://doi.org/10.1371/journal.pone.0263100.

Ward J. K., Alleaume C., Peretti-Watel P., the COCONEL Group, 2020, « The French Public’s Attitudes to a Future COVID-19 Vaccine: The Politicization of a Public Health Issue », Social Science and Medicine, 265: 113414. doi: 10.1016/j.socscimed.2020.113414.

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