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« Les oppositions contemporaines autour de l’avortement, ici et ailleurs »


Coordination scientifique :

Mireille Le Guen (Ined, UCLouvain), Marie Mathieu (Cermes3, affiliée au CRESPPA-CSU), Raphaël Perrin (Université Paris 1, CESSP)

     Il y a quarante ans, la Revue française de sociologie publiait le premier numéro dans le champ des sciences sociales francophones exclusivement dédié à l’avortement, alors que venait de s’opérer une mutation remarquable dans l’encadrement légal de cette pratique en France. En effet, la loi dite Veil de 1975 avait partiellement dépénalisé l’avortement : redéfini sous l’appellation « interruption de grossesse », il était alors autorisé sous certaines conditions et sa réalisation restreinte aux seul·es médecins (Ferrand-Picard, 1982 ; Horellou-Lafarge, 1982 ; Ferrand et Jaspard, 1987). Cette modification dans les textes sera inscrite durablement dans le Code de la santé publique quatre années plus tard, avec le vote de la loi Pelletier, et le remboursement des interruptions de grossesse dites volontaires (IVG) sera pour partie assuré avec la loi Roudy de 1982.

     C’est justement cette année 1982 que parait ce volume historique de la revue intitulé « La libéralisation de l’avortement ». Coordonné par Paul Ladrière, il réunissait les contributions de huit chercheuses et deux chercheurs concerné·es depuis plusieurs années alors par différents aspects de l’avortement. Leurs contributions ont révélé les positions du corps médical, de la magistrature, de l’Église, des conseillères conjugales en charge de l’entretien psycho-social (à l’époque obligatoire pour les majeures comme les mineures) face à cette pratique, ont retracé une chronologie précise des évènements et des débats parlementaires ayant précédé le vote de la loi de 1975 et analysé des discours de femmes ayant avorté avant et après la mise en application de ce texte.

     Bien que « n’aboutiss[a]nt pas à une sociologie constituée de l’avortement », ce numéro de la Revue française de Sociologie a offert non seulement un premier « état de la question » en France (Ladrière, 1982, p. 357), mais aussi une légitimité à l’avortement comme objet d’étude pour les sociologues. Avec l’ouvrage de référence de Michèle Ferrand et Maryse Jaspard (1987) sur l’interruption volontaire de grossesse, il a ouvert la voie à l’analyse multidimensionnelle de ce fait social en contexte français, mais aussi au dialogue avec les travaux menés dans d’autres sociétés. Une revue de la littérature scientifique aujourd’hui souligne la richesse des analyses sociologiques, sociohistoriques, socio-épidémiologiques et socio-démographiques que ces premiers travaux ont permises, tout comme leur densité, et ce, particulièrement à partir du début des années 2000 (Mathieu, 2016).

Ces recherches se sont développées au croisement des disciplines, mais aussi des différents domaines de la sociologie (santé, déviance, action publique, etc.), de manière concomitante aux changements législatifs opérés au travers du temps. Modifiant réforme après réforme une loi pensée initialement comme dissuasive (Devreux, 1982) – du moins en France métropolitaine (Paris, 2020) –, ces modifications légales sont allées dans le sens d’un accès simplifié et élargi à l’interruption de grossesse et de la redéfinition de cette dernière comme un acte ordinaire de santé (Marguet, 2014 ; Mathieu, 2022).

Cela n’est pas sans contraster avec la manière dont les articles publiés dans le dossier de 1982 présentaient l’avortement. Il était alors abordé comme un « objet conflictuel », au cœur de prises de positions et de représentations sociales antagoniques de la vie, de la morale, du droit, du statut des femmes, de l’institution médicale et de l’éthique en matière de sexualité et de procréation (Ladrière, 1982, p. 351). Aujourd’hui, les transformations successives du cadre légal pourraient laisser penser que les multiples obstacles et résistances au droit des femmes à choisir la suite d’une grossesse entamée, au recours mais aussi à la réalisation de l’avortement ont disparu. On pourrait croire que les conflits qui entouraient cette pratique se sont atténués et qu’un relatif consensus quant au libre choix des femmes en matière de non-procréation s’est imposé au fil des années, réduisant les oppositions à l’avortement à quelques discours marginaux, du moins en France.

     Pourtant, l’histoire (Joffe, 1995 ; Pavard, 2012) et l’actualité internationale n’ont de cesse de nous rappeler combien ce droit n’est jamais obtenu sans lutte et qu’une fois acquis il se doit d’être défendu face à des attaques renouvelées. Si certaines batailles pour la libération de l’avortement ont conduit à sa légalisation partielle comme ce fut le cas en France (Zancarini-Fournel, 2003 ; Desmoulins, 2015 ; Ruault, 2017a) et plus récemment en Irlande (2018) (Sebbane, 2018 ; Chaput, 2020) et en Argentine (2020) (Montoya, 2019 ; Lacombe, 2020), on assiste en même temps, ces dernières années, à de nombreuses remises en question allant parfois jusqu’à la (re)criminalisation de ce droit[1], comme au Nicaragua (2006) (Herrera et al., 2020), en Espagne (2010) (Sanz-Gavillon, 2018), au Brésil (Marques et Ugino, 2015) (encore en 2020) et en Pologne (Broniarczyk et Fuszara, 2018) (encore en 2021). Enfin, l’actualité internationale a récemment été marquée, le 24 juin 2022, par la révocation par la Cour suprême étasunienne du célèbre arrêt Roe vs. Wade, qui autorisait l’avortement au niveau fédéral depuis presque cinquante ans. De nombreux états des États-Unis se sont alors empressés de légiférer sur le droit à l’avortement, restreignant drastiquement son accès dans ce vaste territoire américain.

     D’où l’importance de réinterroger aujourd’hui encore les oppositions, les restrictions légales et concrètes, les résistances, les réticences face à la liberté des femmes de disposer de leur corps, et de renseigner leurs formes contemporaines dans l’ensemble des sociétés, tout comme les représentations négatives de cet acte et ce, même en France. En effet, les débats soulevés par la loi de 2022 visant à renforcer le droit à l’avortement en portant l’âge gestationnel limite pour avoir une IVG de 12 à 14 semaines de grossesse, les difficultés de la mise en application de cette nouvelle disposition, l’existence même d’un seuil inscrit dans la législation ou d’une « clause de conscience » spécifique pour les professionnel·les en charge des interruptions de grossesse, tout comme les difficultés à reconnaitre aux sage-femmes le droit de les pratiquer sont particulièrement heuristiques. Ces différents faits indiquent que sous l’accord apparent existent encore des conflits entre corps de métiers, des oppositions, des objections et des hésitations à reconnaitre le droit des femmes à disposer librement de leur corps, mais aussi à penser l’avortement comme une pratique ordinaire de contrôle des naissances.

Car les analyses sociologiques ont bien montré, en France, qu’une fois dégagé de la charge morale qui lui est associée, l’avortement est bien un mode de régulation des naissances (Mathieu, 2016 ; Claro, 2021), un épisode commun dans la vie des femmes[2], d’autant qu’il demeure un acte simple qui présente peu de risques pour leur santé lorsqu’il est effectué dans de bonnes conditions (Pheterson, 2003), qu’il soit réalisé par aspiration (Soulat et Gelly, 2006) ou par médicaments (Allen et al., 2001 ; Hamoda et al., 2003, 2005). La mise en évidence, dans les années 2000, de la stabilité du taux d’IVG en France malgré l’augmentation de la couverture contraceptive de la population – et plus particulièrement de la classe des femmes – a permis d’éclairer les reconfigurations de la norme procréative (soit des conditions socialement définies comme « bonnes » pour avoir un enfant) et de démontrer que l’avortement y est une donnée structurelle des trajectoires procréatives des femmes (Bajos et al., 2014 ; Bajos et Ferrand, 2006b). Pourtant, l’avortement demeure, dans les représentations communes, un acte déviant (Divay, 2004) et stigmatisant (Mathieu, 2016), la « mauvaise » pratique par opposition aux autres modes de contraception, et ce d’autant qu’il est utilisé plusieurs fois au cours d’une vie ou réalisé « tardivement » (Mathieu et Ruault, 2014). Il n’est toléré que sous certaines conditions comme un « échec » dans une maitrise pensée parfaitement rationalisée des femmes de leur potentiel procréatif.

     À l’approche du cinquantième anniversaire de la loi Veil, ce numéro thématique de la Revue française de sociologie vise à répondre à l’appel à « une reprise critique » formulé par P. Ladrière il y a quarante ans, et de proposer de nouvelles pistes de réflexion. Il s’agira d’actualiser et de renouveler les analyses sociologiques de l’avortement « ici et ailleurs », pour reprendre les termes de Nathalie Bajos et Michèle Ferrand (2006a), de travaux sur cet objet publiés par le passé, et plus particulièrement ceux traitant des conflits qui l’entourent. Partant du constat que les oppositions à l’avortement demeurent encore aujourd’hui bien réelles, mais qu’elles se sont recomposées, nous attendons donc des travaux éclairant leurs formes contemporaines, tout comme les contestations face à une éventuelle « banalisation » de cette pratique, qu’il s’agisse d’attaques explicites au recours à l’avortement quels qu’en soient les motifs ou de discours plus ambivalents, en France et dans le monde. Par ailleurs, face aux offensives contre le recours à l’avortement et aux restrictions (officielles et/ou factuelles) que ces postures produisent ou maintiennent, nous souhaitons, au travers de ce numéro, renseigner les expériences des femmes qui ont avorté, ainsi que de leur entourage (partenaire, proches, etc.). Il importe notamment d’éclairer les manières dont les représentations et les discours négatifs sur l’avortement et les limitations concrètes à son accès affectent les décisions des femmes face à une grossesse qu’elles veulent arrêter et la manière dont elles teintent leurs vécus d’un ou de plusieurs avortement(s), tout comme les stratégies et les actions concrètes mises en place par des associations ou des collectifs pour permettre aux femmes d’avorter et de bien vivre cet épisode malgré tout. Enfin, le renouvellement des discours remettant en cause le droit à l’avortement vient interroger la manière dont ses défenseur/se·s ripostent et innovent dans leur manière de réagir et d’agir.

Une attention particulière sera portée à la diversité des acteur/rice·s, des groupes et des scènes où s’expriment les résistances à l’avortement libre et gratuit et à une totale autonomie des femmes et à la liberté de disposer de leur corps. En effet, les oppositions sont polymorphes et ont des déclinaisons singulières selon les positions sociales de celles et ceux qui les portent et selon les espaces investis. Elles ne sont pas les mêmes lorsqu’elles sont énoncées par des militant·es anti-choix, exprimées par une sénatrice ou par des médecins, par exemple.

    Premièrement, sont attendues des contributionsqui identifient les nouveaux/lles opposant·es à l’avortement – que ces dernier·es cherchent à restreindre son accès, voire à rendre illégale sa pratique – et analysent leur production dans ses multiples formes. Si les caractéristiques sociales de certain·es d’entre eux/elles ont été mises en évidence et leur discours analysés pour certaines séquences temporelles dans certains pays (voir, par exemple, Erdenet, 1992 ; Venner, 1995a, 1995b ; Cahen, 2016), il importe d’étendre et de prolonger ce travail en examinant les groupes, réseaux, acteur/rice·s intervenant dans les différentes sociétés et dans divers espaces du social pour limiter voire criminaliser ou pénaliser l’avortement, d’éclairer leurs répertoires d’actions – que ces dernières soient individuelles ou collectives (manifestations, lobbyisme politique, désinformation, refus de soin, action directe, etc.) – et la manière dont ils se sont transformés et renouvelés au cours du temps. Quelles sont les valeurs sur lesquelles s’appuient aujourd’hui ces positions et ces mobilisations ? Quels sont, par exemple, les effets de l’« institutionnalisation de la cause des femmes » (Blanchard etal., 2018) dans les discours des adversaires de l’avortement ? Les références à la vie, à la morale, à la religion et au fœtus ont-elles été délaissées au profit d’arguments plus audibles aujourd’hui, mettant en avant l’intérêt des femmes (Lowe et Page, 2019) ou ont-elles été adaptées et remaniées pour s’y articuler ? Comment ont évolué les actions et les plaidoyers des anti-choix, qu’ils se désignent « pro-vie » ou non ? Comment ces stratégies rhétoriques et registres d’intervention se diffusent-ils d’un pays à un autre et s’adaptent-ils aux contextes locaux ? Quels effets cet activisme a-t-il sur l’accès concret à l’avortement ?

Les articles pourront s’appuyer sur des terrains nationaux et internationaux et explorer les actions anti-choix dans les médias (sur les réseaux sociaux, dans la presse, dans les productions culturelles comme les séries ou les films, etc.), analyser le contenu et les discours qu’ils véhiculent mais aussi s’intéresser aux espaces de la fabrication des lois (parlements nationaux ou européen) et de leur mise en application (Cours européenne, supérieure ou suprême, etc.), les débats et postures lors de meetings politiques, au sein de lieux de culte ou de la formation médicale, devant et dans les lieux de la prise en charge des avortantes.

Les contributions pourront poursuivre, compléter et actualiser les travaux analysant des législations criminalisant l’avortement – ou certains avortements – ou restreignant leur accès, les inégalités sociales qu’elles produisent et plus largement leurs effets sur la santé et les vies des femmes, qu’il s’agisse de dispositions permettant aux professionnel·les de santé de refuser de pratiquer les avortements (De Zordo, 2016 ; Heino et al., 2013 ; Chavkin et al., 2013 ; Mishtal, 2009), ou des limites légales aux avortements au-delà d’un moment donné de la grossesse (De Zordo et al., 2021 ; Mathieu, 2021). Elles pourront porter sur des durées longues ou des périodes plus spécifiques, comme celle par exemple de la pandémie récente de la Covid-19 (De Zordo et al., 2020).

Deuxièmement, nous invitons les sociologues travaillant sur les résistances et réticences à la libération de l’avortement, c’est-à-dire à un accès sans restriction à cette technique de contrôle des naissances, à soumettre leur proposition d’article.En effet, pour comprendre la permanence – malgré la légalisation de l’avortement dans certains pays – de barrières et limites au libre choix en la matière, il importe de déplacer la focale sur le continuum entre les deux grands pôles anti- vs. pro-choix, de donner à voir la complexité des positions intermédiaires. Les débats ne se posent plus toujours tout à fait dans les mêmes termes que par le passé et la distinction fruste entre pro-choix et anti-avortement, de deux camps homogènes et opposés, dont les argumentaires se répondent parfaitement, en miroir, semble parfois peu opérante. Il importe donc d’affiner les catégories d’analyse – voire d’en créer de nouvelles – pour rendre compte de la diversité des positions contemporaines. En effet, elles peuvent valoriser le recours à l’avortement pour certains groupes sociaux, et le restreindre pour d’autres, reconduisant par là des inégalités sociales contraire à un idéal de justice reproductive (Ross et Solinger, 2019). Nous sollicitons donc des travaux qui portent aussi leur attention sur les formes plus latentes et nuancées de résistances face à une libération totale de l’avortement, qui peuvent par exemple s’exprimer sous la forme d’hésitations et d’ambivalences chez différent·es acteur/rice·s de sa prise en charge, tout comme dans l’ensemble du corps social.

Dans certains espaces de formation ou d’activité professionnelle, au sein de groupes militants et politiques ou dans les lieux de production et d’exercice des lois, la contestation de principe d’un droit à l’avortement a cédé la place à une lutte pour en définir les modalités pratiques : où doivent avoir lieu les avortements ? À quel moment de la grossesse et jusqu’à quand ? Comment doivent-ils être pratiqués et par qui ? Quels motifs et circonstances les justifient ? Derrière un discours commun quant au droit des femmes à choisir, valorisant un ensemble de « droits procréatifs » (Hertzog et Mathieu, 2021), se cachent de subtils points d’achoppement. Que nous apprennent les débats autour de la poursuite de la libéralisation de l’avortement ? Que révèlent les contenus et formes des objections portées par les parlementaires, les travailleur/se·s et les militant·es impliqué·es dans sa prise en charge et leurs représentant·es dans l’espace public ? Quelle place occupent ces critiques, par exemple, dans les stratégies électorales des partis et des personnalités politiques ?

Des conceptions différentes de l’avortement s’affrontent, établissant des frontières entre avortements légitimes/illégitimes selon le contexte de survenue de la grossesse, selon les justifications énoncées par les femmes pour y recourir et les émotions qu’elles expriment, selon leurs caractéristiques et leur situation sociales, selon l’avancée de la grossesse au moment où elles en font la demande, selon les méthodes d’avortement et de gestion de la douleur choisies ou souhaitées, selon la gravité d’une anomalie fœtale ou la faible espérance de vie d’un potentiel nouvel être humain, etc. C’est donc au travers d’analyses fines et détaillées que pourront être révélées les réserves plus discrètes et les prénotions sur lesquelles butent encore l’idée et la concrétisation d’un avortement libre et accessible à toutes les femmes. Les représentations dominantes tendent à essentialiser le vécu de l’avortement comme un drame voire un évènement traumatisant en faisant abstraction de ses déterminations sociales et historiques (Mattalucci, 2018) et s’opposent à sa « banalisation ». Des luttes et débats entourent certaines modalités de sa prise en charge telles que la valorisation d’une méthode d’avortement ou de traitement des douleurs associées au détriment des autres (par exemple, de l’anesthésie locale pour les avortements par aspiration) et la restriction des choix laissés aux avortantes. Mais il s’agit aussi des conflits par exemple autour de l’extension de l’avortement par médicament ou de la téléconsultation (Atay et al., 2021), de la prise en charge d’avortant·es trans ou non binaires, de la place et de la nécessité de l’encadrement psychologique et/ou d’un « délai de réflexion » entre une demande d’avortement et son accomplissement, de la médicalisation de l’acte ou de sa pratique profane telle que cela a été historiquement défendu par certaines fractions du Mouvement pour la liberté de l’avortement et de la contraception (MLAC) en France (Ruault, 2017b), etc.

     Car si, historiquement, la pratique des avortements a pu être un sujet de désaccords entre militantes et médecins engagés sur ce terrain, elle fait encore l’objet de rivalités entre différent·es acteur/rice·s et segments professionnels du champs de la santé (par exemple, en France, entre médecins de différentes spécialités, infirmières et sage-femmes, conseillères conjugales et psychologues, etc.), conduisant parfois à la redéfinition des responsabilités des un·es et des autres (par exemple, de l’accès à la technique ou à la prescription d’arrêt de travail) et de la division du « sale boulot » (Molinier et al., 2010 ; Perrin, 2021).

Troisièmement, nous souhaitons éclairer les pratiques individuelles et collectives visant à faire face à ces résistances recomposées, les stratégies élaborées pour rendre possibles ou simplifier les parcours des avortantes malgré des obstacles légaux ou matériels qui s’imposent à elles (carences locales dans l’offre de soins et disparités territoriales des lieux d’avortement et des professionnel·les le réalisant ou le délivrant,etc.), pour contrer les inégalités sociales entre avortantes (comme celles soulignées par N. Bajos et al., 2003) et les préjugés portés par les opposant·es à l’avortement et à sa libération. Il s’agit de documenter, notamment, le développement de pratiques (par exemple, prise en charge collective et numéro vert assurés par le Planning familial français) et circuits alternatifs d’accès à l’avortement (Women on Waves, Women on Web, etc.), le soutien des femmes pour des avortements transfrontaliers (par exemple, diffusion d’informations, caisse de solidarité), le recueil et partage de témoignages sur les expériences d’avortement et les « violences abortives » (Mathieu, 2019) (via, par exemple, des blogs ou les réseaux sociaux), la pratique d’avortements « sécurisés » hors cadre légal (Pheterson et Azize, 2006), les tentatives de légalisation de l’avortement (N’Diaye, 2021) ou la défense du report voire de la suppression des seuils limites dans les lois actuelles.

Comment les luttes pour obtenir un avortement ou pour en améliorer plus généralement son accès pour toutes les femmes se sont-elles adaptées face à des offensives et des entraves reconfigurées ? Comment les modifications légales et les discours qui y ont conduit se sont-ils/elles nourri·es des travaux scientifiques en particulier sociologiques ? Quel rapport à la légalité entretiennent aujourd’hui les militant·es pro-choix ? Comment sont traités judiciairement les illégalismes contemporains du militantisme autour de l’avortement dans les différents pays ? Comment les proches des femmes voulant avorter – parents, famille, ami·es, conjoint·es – pensent, interfèrent ou facilitent leur décision et sa mise en pratique (Cresson, 2006 ; Strong, 2022) ? Comment la stigmatisation de l’avortement contribue-t-elle à l’isolement des avortantes, voire les conduit-elles à réaliser un travail supplémentaire de contrôle de l’information (Norris et al., 2011 ; Thizy, 2021) ?

Plus largement, les textes pourront documenter la manière dont ces oppositions à la pratique de l’avortement (qu’elles soient religieuses, politiques ou autres), les réticences à sa libération et leur diffusion dans l’espace public participent à la construction sociale des décisions des femmes et teintent leurs expériences de cet épisode (Mathieu, 2016), tout comme leur sexualité, leur contraception et leur façon de penser la maternité après avoir avorté.

Les articles doivent s’appuyer sur des matériaux empiriques, qu’ils soient qualitatifs ou quantitatifs. Les mises en perspective historiques, les analyses comparatives diachroniques, entre sociétés ou aires géographiques sont les bienvenues. Enfin, les contributions pourront aussi prendre la forme de notes critiques consacrées à quelques ouvrages récents et importants étroitement liés à la thématique générale du numéro.

Les propositions de contributions (min. 500 mots-max. 1 500 mots), en français ou en anglais, devront décrire de manière synthétique les quatre éléments suivants : 1) Sujet abordé et état de la littérature pertinente pour le sujet traité 2) Matériau et méthodes 3) Résultats attendus 4) Courte bibliographie (max. 5 références)   Toute proposition ne respectant pas ce format sera automatiquement rejetée.   Les propositions doivent être adressées avant le 9 janvier 2023 au secrétariat de rédaction ainsi qu’aux trois coordinatrice/eur·s : rfs.avortement@services.cnrs.fr. Elles feront l’objet d’un examen conjoint par les signataires de cet appel. La notification d’acceptation sera rendue aux auteurs au plus tard le 6 février 2023.   Les autrices et auteurs dont la proposition aura été retenue devront remettre leur texte, dont la longueur ne dépassera pas 75 000 signes (espaces, figures et tableaux compris), au plus tard le 3 juillet 2023. Chaque article sera évalué, de manière anonyme, par le comité de lecture de la Revue.

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[1] Pour un état des lieux des législations, mesures, tendances et conséquences dans le monde, voir Guillaume et Rossier, 2018.

[2] En effet, en France une femme sur trois a eu au moins une IVG au cours de sa vie (Mazuy et al., 2015 : 3) malgré une légère baisse du nombre d’IVG enregistrée pour l’année 2020 (Vilain et al., 2021).

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